ROMANS POLICIERS MEURTRES A LA MICROCARTE LES RONDS-POINTS DE LA COLERE ECART DE MEMOIRE L ASSASSIN DU PREMIER MAI VENGEANCE SECULAIRE QUELLE TUILE !

 

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L'édition, autrement  !...

 

Pierre BRANDAO, SES ROMANS POLICIERS

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INTRODUCTION

Découvrez Isabelle Loubry, héroïne de ces romans policiers. Gendarme, elle mène différentes enquêtes criminelles qui permettront au lecteur de voyager dans plusieurs contrées de France (notamment la Saintonge, l'Aunis, la Vendée mais également le Québec, l'Inde, la Belgique...)
Outre la volonté de conduire l'intrigue jusqu'à sa fin, de manière à ménager le suspens -et les nerfs !-, la particularité de ces romans provient du sens profond de l'engagement humain dont l'héroïne fait preuve au fil des pages. Cela la rend attachante, agréable, mais surtout, efficace !
Bonne lecture !

QUELLE TUILE !

Quelle tuile couv recto 2

Quinze jours…

Avant de permettre au chef Hérart de goûter un nouvel horizon appelé retraite…

Avant d’autoriser Jonathan Planquart, en stage d’immersion en brigade territoriale, à rejoindre l’école de formation de Montluçon…

Mais le destin s’en mêle, obligeant l’ancien et le jeune à tenter d’élucider une série de meurtres commis à l’encontre de vieilles personnes habitant sur l’île d’Oléron. Pourquoi diable leur en veut-on, elles dont la préoccupation première consiste à passer le temps entre bière et jeux de société ?


Hérart a beau le répéter : une sacrée tuile qui leur arrive là ! Lui qui goûtait d’avance au plaisir du farniente ne pouvait pas dire mieux !

QUELLE TUILE ! Extrait

PROLOGUE

Une balade mémorable

Mardi 12 août 2014, 8 heures
Quelque part sur le littoral charentais

Flâner dans ce charmant village situé sur l’île d’Oléron, en Charente-Maritime, s’apparente à un vrai moment d’évasion pur. Des maisons basses à la façade blanche et aux frontons fiers se dressent devant le visiteur soucieux de dépaysement. Les volets bleus et les courettes baignées de lumière enchantent, les axes principaux sont aussi larges que les venelles sont étroites, les commerces vivent au gré des saisons touristiques et la proximité de l’Atlantique respire bon les vacances. Auguste Naud, un insulaire, goûte à ces congés spéciaux, offerts par sa retraite de marin et d’ostréiculteur. Il déambule avec sa baguette et ses croissants, achetés dans la boulangerie de la rue Semard et prend le chemin le conduisant à son domicile.

Auguste Naud, soixante-quatorze ans, un caractère très terrien, forgé par l’âpreté du travail en mer ! Il demeure seul depuis toujours, dans une de ces habitations, un peu à l’écart de la commune, face à la grande étendue maritime. Oh ! Il n’a pas toujours connu l’isolement, le brave homme ! Mais son amour de jeunesse a préféré l’abandonner sur cette île pour rejoindre un Québécois riche et fortuné… Alors, les femmes, mieux vaut ne pas trop lui en parler ! Il aime ces promenades, accompagné de ses pensées. Lorsqu’on goûte la chance d’être propriétaire à côté de l’océan, on profite du moindre soupçon d’iode ! Pour se rendre chez lui, il faut emprunter le chemin du Râteau qui longe le littoral pour apercevoir sa maison, sur votre gauche. Mais qu’importe son logis ; l’essentiel réside plutôt en cette journée particulière qu’il n’oubliera pas de sitôt.

Tout d’abord, déposer la casquette sur la patère de l’entrée, s’installer devant son café, savourer les viennoiseries, apprécier le moment. Se lever, piquer une cacahuète dans le pot, narguer le perroquet pour la lui remettre tout de même à travers les grilles de la cage. L’entendre répéter « cacahuète… rhôooo… », suivi de son sifflement aigu « uil… uil… », le flatter, appliquer le « baiser » rituel et reprendre son couvre-chef pour la balade le long de la côte. Cela, il ne le manquerait pour rien au monde ! Rien d’anodin dans cet exercice : chaque sortie lui amène son lot de découvertes et sa cour en regorge : coquillages pittoresques, bois mort flotté aux allures d’extraterrestres ou de fantômes, algues originales, cadavres de poissons échoués sur la berge... Les marées lui apportent régulièrement un présent que son regard perpétuellement neuf lui permet d’apprécier.

Il referme la porte derrière lui et s’engage sur le chemin des dunes. Des barbelés, placés à mi-hauteur des monticules, empêchent les intrus de débarquer de l’autre côté. Il devrait contourner l’obstacle sur une longue distance pour se retrouver là où il le souhaitait, mais lorsqu’on habite face à la mer, l’envie de contourner le règlement vient naturellement. La police municipale de Saint-Georges ne commencerait pas sa tournée avant au moins neuf heures trente... D’ici là, il serait revenu. Il grimpe, ne prête pas attention au sable inondant ses chaussures et son regard se porte en premier lieu sur l’horizon. Beau ciel bleu, pour ce milieu d’été orageux ! Il jette un œil de droite à gauche, contemple les vestiges abandonnés par le ressac. Rien de bien important ce matin, qui vaille la peine de s’y intéresser. En contrebas, il remarque une forme oblongue repliée sur elle-même. Il se souvient du journal de la veille, qui rapportait l’échouage d’un phoque sur les plages charentaises. Comment agir, dans ce genre de situation ? Ah oui ! Aviser l’Aquarium de La Rochelle, qui enverrait une équipe. À deux mètres de la dépouille, Auguste s’arrête net. Il n’a jamais vu de mammifère marin accoutré comme un être humain : portant veste et pantalon...

— Bon sang, fallait que ça tombe sur moi !

Il s’approche, retourne le visage du noyé et s’exclame :

— Eh merde! C’est Justin!

MEURTRES À LA MICROCARTE

Laissons la parole à Jocelyn Maily, l'auteur de Loozana Blues, et membre du comité de lecture d'Edi'lybris...

***

Elle croyait avoir tout vu. 
Tout.
Elle pensait avoir tout supporté.
Tout.
Elle était certaine d'être capable de tout endurer.

Mais Isabelle va découvrir qu'il n'en est rien. 

Cette fois-ci, elle va devoir affronter sa propre mort.
Et ça n'est que le début. 
Car au delà, elle devra apprendre à dépasser la terreur, le carnage et le Mal organisé.

Meurtres à la microcarte

Extrait du prologue... 

L’ENTERREMENT

Cimetière Saint-Éloi, La Rochelle,

lundi 16 février 2015, 10 h 00.

En ce milieu de matinée de février 2015, deux à trois cents personnes se rassemblaient autour d’une tombe du cimetière Saint-Éloi à La Rochelle. Triste et pluvieux, le temps était de circonstance, pour accompagner les femmes et les hommes présents. Beaucoup de regards bas, d’yeux humides, de frissons provoqués par la peine et le froid. Beaucoup d’incompréhension aussi… Dans ce cercueil veillé par les assistants funéraires, un cœur avait battu, une âme avait vécu, une vie en avait entraîné d’autres sur les chemins de la joie, du bonheur et de la recherche de la vérité. On juge parfois l’étendue de l’aura d’un être humain au nombre de personnes venues lui rendre un dernier hommage. Ils étaient une multitude pour la circonstance… Dans les allées contiguës, d’autres gens arrivaient, la mine accablée, la démarche lourde. Des curieux aussi, de tous âges, de tous sexes, de toutes origines et de tous horizons. Bien sûr, les gendarmes avaient revêtu leur uniforme d’apparat pour rendre honneur à la défunte, ce qui expliquait ces notes bleu foncé disséminées un peu partout dans la foule. Des civils, rencontrés au gré de précédentes intrigues criminelles, avaient fait le dépla-cement : Aurore Martin, l’assistante légiste d’Auxerre, victime d’un malentendu qui aurait pu lui coûter la liberté ; Stéphane Desfougères, le chef clown, accompagné de sa femme, échappé par miracle d'un sort peu enviable ; Dominique Toirne, l’énigmatique femme au passé douloureux, prête à souffrir les ténèbres plutôt que la lumière ; Jean-Luc Roman, rencontré à l’occasion d’une histoire à tourner en rond. Bien d’autres personnalités encore, qui à un moment de leur existence, furent séduites par la personnalité attachante de l’être gisant près d’eux.
Mais le chagrin et la douleur de la famille, surtout, déchiraient les cœurs : William tenait à chaque main ses deux ados devenus jeunes adultes. Même s’ils conservaient une droiture exemplaire, les larmes d’Aurélia et de Jonathan trahissaient leur émotion… Le trou béant accueillera bientôt le cercueil de celle qui sut leur apporter amour, réconfort, tendresse. Pourtant, ces deux-là ressentaient du dépit… Durant les sept dernières années, leur mère privilégia son profil de carrière plutôt que la famille ; ainsi, absente au quotidien, elle se contentait des jours de repos et de permissions pour profiter de la vie ensemble. Alors, à quoi bon ce sacrifice, puisqu’on en était arrivé là !
Un peu à l’écart, Pascal Duvivier, le technicien en identification criminelle du groupement de gendarmerie de la Charente-Maritime, s’entretenait discrètement avec le capitaine Rouger, nouveau commandant de la compagnie de La Rochelle ayant remplacé le capitaine Andret, parti à la retraite le vendredi précédent.
– Alors, chef, demanda l’officier à voix basse, rien qui puisse nous mettre sur une piste ?
–  J’ai examiné ses dernières notes, mais j’avoue ne pas y comprendre grand-chose. Isabelle n’avait mis personne au courant de ses investigations… À vrai dire, elle ne semble pas en avoir eu le temps… Peut-être Desfougères en sait-il plus que nous, mais depuis le drame, il est effondré…
–– Tout ça pour une vidéo ?
––  En fait, on ne sait pas trop ! Ce peut être un film, un fichier Excel, un document Word, ou autre ! Cette microcarte SD renferme un secret que personne n’a réussi à percer !
–– A-t-on mis un dispositif de surveillance en place aujourd’hui ?
––  Oui, aux quatre coins du… On en reparlera un peu plus tard, si vous voulez bien…
–– Dès notre retour au bureau, nous prendrons une décision radicale : recommencer l’enquête à zéro et permettre aux nouveaux enquêteurs ce qu’il n’a pas été possible de faire jusqu’à maintenant… Taisons-nous… Le prêtre vient de lancer une rose sur le cercueil… Nous allons suivre la procession…

Longue et douloureuse. À l’image des mines tristes de ceux qui firent le déplacement. Rarement cimetière ne connut une population vivante piétinant si péniblement les allées fleuries. À l’issue de la cérémonie, les visiteurs quittèrent le lieu de recueillement et se dirigèrent vers leurs véhicules. La vie reprit ses droits, tandis qu’une âme rejoignait les cieux.

L’épitaphe sobre résumait sa vie.

Isabelle LOUBRY
40 ans- Majore de gendarmerie à titre posthume
Née le 1er mai 1971 – décédée le 13.02.2015.

La flamme de la vérité qui l’animait a fini par l’éteindre.

LES RONDS-POINTS DE LA COLÈRE

 

 

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Au hasard des routes, le regard se pose négligemment sur les aménagements de certains ronds-points… En Charente-Maritime, plusieurs d’entre eux aiguisent notre curiosité… Ainsi, deux impressionnantes mains s’apprêtent à ouvrir une huître à l’Éguille-sur-Seudre, un groupe de
pèlerins en composite se dirige vers l’hospice de Pons, une phénoménale statue de fer répondant au nom d’Hermès accueille les voyageurs en provenance de Marans, un gigantesque terre-plein central accueille une baraque ostréicole près de Chaillevette… Et bien d’autres encore valent le détour.  

Mais, lorsque ces ornements cachent de lourds secrets, conduisant notre héroïne gendarme Isabelle Loubry à solliciter un détective outre-Atlantique, notre compassion dépassera-t-elle le seuil de l’étonnement et de l’admiration ?
Qui a intérêt à cacher ces fardeaux plutôt morbides ? 
De giratoires en giratoires, les enquêteurs vont connaître le summum de l’horreur, tout en se mettant en quête de motards au présent particulièrement douteux…           

Entrez dans la ronde, brave gens, et que la tête ne vous tourne pas trop, car cette enquête vous mettra sens dessus-dessous !

EXTRAIT DU CHAPITRE 2

nuit du lundi 12 avril 2010 – 00H45
Rond-point des Pèlerins, à Pons

Du haut de ses dix-sept printemps, un physique de déesse, Astrill savait jouer de son pouvoir de séduction. Ses cheveux, longues nouilles chinoises tortillées et colorées dans un charbon maintes fois passé au ras du feu, descendaient jusqu’à ses épaules, tandis que quelques mèches rebelles écarlates balayaient son front haut et délicat. Son regard, souligné par un mascara aussi foncé que sa teinture, coïncidait parfaitement avec le noir épousant ses lèvres de jeune femme. Dotée d’une poitrine déjà bien proéminente pour son âge, la demoiselle savait mettre en valeur sa féminité… Elle s’en servait pour exacerber le désir de l’homme… Astrill portait un chemisier à manches courtes, aux couleurs chamarrées, bien échancré — peut-être un peu trop pour la décence de l’époque ! —. Pour couvrir ses jambes, une mini-jupe charmait d’érotisme l’atmosphère friponne de la soirée.
La vie lui souriait, tandis qu’à ses côtés, un duo cocasse de garçons bavait d’envie, et elle s’en fichait éperdument. Même si l’un d’entre eux, Christophe, affichait sa différence dans un accoutrement inhabituel, le jouet qu’il représentait suffisait à la belle. Le second, plus commun, se prénommait Mickaël. Elle le préférait à jeun, car au naturel ses traits n'étaient pas autant marqués qu'à l'instant, et l’alcool lui donnait l'aspect prématuré d'un vieillard.
Manipulatrice, contrôlant la moindre tentative d’approche de ses soupirants, Astrill maîtrisait le jeu pervers nourricier de ses caprices. Tous les garçons étaient à ses pieds ; elle les menait par le bout du nez ! Au gré du vent, elle les balayait, comme des brins de paille… et du vent, ça, elle savait ce que ça voulait dire ! D’ailleurs, elle ne prêtait même plus attention aux sous-entendus salaces qu’ils échangeaient discrètement entre eux — du moins le croyaient-ils ! —. Elle s’en amusait sous cape. Combien de fois avaient-ils murmuré, examinant en parfaits connaisseurs les contours de la demoiselle ? : — Putain, avec cette nana, ce serait le pied ! Mais Astrill menait la barque, la dirigeait… et l’arrêterait selon son bon vouloir !
Flanquée de ses deux copains du moment, ivres à souhait, elle descendait à pied la rue du Maréchal Leclerc, déserte à cette heure avancée de la nuit. Mickaël poussa le vice jusqu’à s’arrêter un instant derrière l’église pour soulager un besoin pressant. Ils l’attendirent, puis le trio émergea sur le rond-point des Pèlerins, qui permettait au voyageur en transit de tirer sa révérence une ultime fois à cette bonne ville de Pons avant de s’engager sur les chemins de Cognac, Jonzac, Saintes ou même Royan.
Là, cinq statues en composite dominaient le terre-plein central du giratoire. Il s’agissait de marcheurs qui, jadis, venaient faire une halte salutaire à l’hôpital des pèlerins situé à cinq cents mètres de là. Ils y soignaient les plaies de leurs pieds en feu et y trouvaient une maigre parcelle de réconfort propre à apaiser leur esprit torturé. Le premier coquillard – ainsi appelait-on alors ces pèlerins –, muni d’un bourdon et coiffé d’un chapeau à bords ras, pointait de son index la direction de l’hospice, sorte de gîte-étape incontournable avant d’entamer la route présumée de Saint Jacques de Compostelle, la destination finale. Étrangement, nul ne savait ce qui motivait véritablement ces hommes et encore moins s’ils parviendraient tous au terme d’un aussi long et pénible voyage, perçu comme la repentance nécessaire au repos de leur âme.
Au beau milieu de la nuit, la lune éclairait ces répliques fantomatiques d’un autre âge et une sorte de halo blanchâtre les enveloppait étrangement, conférant à la scène une impression lugubre de mystère. L’ombre qui se détachait de l’église ajoutait au décor, appuyant cette sensation d’outre-tombe…
Leur guide savait la fatigue et le sentiment de découra-gement qui habitaient parfois ses compatriotes, mais il connaissait aussi leur volonté et, surtout, leur foi. Et si ses compagnons s’arc-boutaient sous le poids des besaces et la lourdeur des chausses, il comptait sur son second, à la voix réconfortante, juste, pleine d’espoirs. Ainsi en était-il depuis des lustres même si, figées dans la quasi pénombre, ces silhouettes improbables donnaient l’impression de pouvoir, tout-à-coup, se remettre en marche, comme par enchantement.
Le deuxième personnage paraissait avoir épousé les traits de celui qui montrait le chemin. Il scrutait la ligne d’horizon, en direction de l’endroit signalé, savourant à l’envi la perspective du repos qui ne tarderait pas. La fatigue, l’exténuation, le doute, frappaient-ils alors sa résistance physique et mentale ? La main sur le grand bourdon ne manquait pourtant pas de passion…
Derrière eux, un autre marcheur vert-de-gris s’intéressait à leur conversation. Il redressait son chapeau, avec un soupir apaisé : enfin, il remplirait dans peu de temps sa gourde d'eau fraîche ! Avec de la chance, il trouverait aussi de quoi recoudre ses godilles et panserait ses pieds bien endoloris. Il se rendait compte de l’insignifiance de son être, malgré ses richesses, ses terres, son argent. Ce pèlerinage le ramenait à la vérité première : la grandeur des choses matérielles chasse l’humilité de l’homme, confronté à la nature hostile… Il était temps de revenir aux valeurs essentielles de l’existence… Dans son dos, il perçut le murmure du dialogue échangé par Pierre et Jean. Le premier, la capuche rabattue sur la tête et la nourrice pendante sur le flanc droit, s’efforçait de convaincre l’autre du bien-fondé de leur démarche.
Tous les cinq avaient accroché sur leur bâton la fameuse coquille Saint-Jacques, signe du caractère non belliqueux du marcheur, qui s’aventurait sur les chemins rendus hasardeux durant ces périodes troublées par les différents conflits… Cependant, ce soir, ils ne pouvaient imaginer combien leur existence allait changer.
Astrill et ses deux acolytes déboulèrent sur le tas de cailloux, jouant à cache-cache avec les silhouettes en faux bronze. La voix de rogomme des deux garçons rebondissait sur les personnages, dans un écho étonnamment feutré, ce qui les fit rigoler. Agrippé à un « tôle » de bière de la main gauche, Mickaël saisit, de l’autre main, la canne du guide, comme pour lui chiper.
— Putain, jura-t-il, veut pas me la donner, c’comique !
— T’en f’rais quoi ? vitupéra l’autre ado. Dans l’état qu’t’es, c’est d’une civière que t’aurais besoin !
— Ta gueule, Christ-en-thème ! fit l’autre, méchamment. Tu t’crois mieux ?
— Ça va, les gars, calma Astrill, moins fort ! Pas la peine de se faire remarquer ! Vous n’êtes pas en cour de récréation !
Interloqués, les deux jeunes n’osèrent pas répliquer. Mickaël se rapprocha de son comparse et reluqua avec insistance la jeune fille qui dansait autour d’une statue.
— Nom de Dieu ! Y’a pas, elle est vraiment bonne !… 
À moitié bourré, après une éructation bruyante, le Christ-en-thème  réussit à placer :
— Ouais ! Tu le r’marques seulement ?
Les deux soûlards se postèrent sur le bas côté, entre la borne estampillée du symbole de la coquille Saint-Jacques, qu'enserraient deux bourdons de pèlerins, et le panneau précisant le sens de circulation. Dans leur brume alcoolique du moment, ils la déshabillaient du regard, de haut en bas… et de bas en haut… sans se lasser du spectacle… Astrill éveillait leurs fantasmes, chaussée de bottines noires plutôt sexy, sur des collants de voile, qui auraient pu être des bas… et qui conféraient à ses jambes une sensualité dont ils n’avaient pas encore, jusque-là, perçu tout le sens. L’idée soudaine qu’elle puisse porter ces atours érotiques provoqua un éclair de lubricité — voire de lucidité passagère incontrôlée — dans l’œil des garçons… Leurs regards humides rencontrèrent alors la mini-jupe, portée jusqu’aux frontières d’un maquis a priori inexploré… Mais, sacrebleu, où était-il écrit que la pudeur impliquait que ce genre de tissu devait recouvrir les genoux ? Son chemisier multicolore, sorti de la ceinture, se plaquait contre la poitrine aux trois-quarts découverte, suggérant des envies de mâles pressants…
Astrill, décomplexée, imagina un scénario qui exacerberait les sens de ses admirateurs… Elle se colla contre le premier pèlerin, celui qui désignait la direction de l’hôpital…
— Hé, les gars, suggéra-t-elle, croyez-vous que ces marcheurs étaient chastes au point d’ignorer le plaisir ?
— Non, ironisa Mickaël, ils s’en donnaient… entre eux !
— Ou tous seuls, renchérit « fleur funèbre », hilare.
— Ah oui ? continua  Astrill, en prenant dans la paume de sa main le menton du coquillard immobile et en dénouant le bandeau qui retenait ses cheveux en frisottis corbeau, qu’en penses-tu, toi ? Ça te plairait de t’amuser un peu avec moi ? C’est moins dangereux que d’aller à Compostelle, tu sais ?
— Avec toi, il vendrait son âme au diable ! avisa Christ, en crachant dans l’herbe et en s’envoyant une lampée de bibine.
— Moi aussi, avoua Mickaël qui admirait avec béatitude le ballet de son amie. J’crois bien qu’il préférerait affronter les brigands des grands chemins qu’une belle garce comme toi ! Elle ignora volontairement les sarcasmes des garçons, mais l’œil humide de Mick ne lui échappa pas... Celui-ci ferait un bon amant, peut-être ? Elle déboutonna lentement son chemisier, en commençant par le bas, afin de dévoiler à la lune le satin blanc de sa peau entourant un joli nombril où un piercing scintilla. Mickaël et Christ se turent soudain, bouche bée, bras pendants. Ils venaient de se poser sur une autre planète... Ignorant le liquide mousseux qui, s’échappant de leurs canettes renversées, se répandait en imprégnant l’atmosphère de l’odeur écœurante d’une bière bon marché, ils bavaient littéralement d’envie...
— Oui, susurra la fille, continuant son manège, je suis sûre qu’il apprécierait le repos du guerrier… 
— Putain, fit Mick, hypnotisé par la scène, je veux un chapeau et un bâton… Ma bière pour un chapeau et un bâton ! Et j’veux bien rester là immobile avec Astrill qui me fait son « strip’ » ! T’entends, Christ ?
L’autre ne répondit pas. L’état de prostration dans lequel il se complaisait empêchait d’éventuelles paroles de franchir les barrières de son larynx embrumé. Mick n’y fit pas attention, émerveillé devant une Astrill de plus en plus appétissante…
Elle ne se retourna même pas pour les regarder, sûre de l’effet qu’elle produisait sur eux. Elle dégrafa les deux derniers boutons de son chemisier, tout en enserrant une jambe du pèlerin avec l’une des siennes, afin de simuler une étreinte qui les émoustillerait encore plus. Elle jeta son bandeau sur le visage de Mickaël, qui l’évita prestement pour ne rien rater de la scène… Devant lui, Astrill en soutien-gorge et mini-jupe lui offrait un spectacle torride qu’il n’aurait manqué pour rien au monde.
— Bordel, murmura-t-il, c’est le plus beau jour de ma vie ! Bon Dieu, si t’existes, arrête le temps quelques minutes !
— Regarde, mon bon pèlerin, attisa malicieusement Astrill en s’adressant à la statue, et sens comme mon corps est chaud comparé au tien, je parie que je suis capable de te faire fondre… 
D’un geste vif, elle ôta son chemisier et le suspendit tel un trophée sur le doigt sculpté. Elle fit durer le suspense en plaquant ses seins contre le torse froid, et joua avec les rayons lunaires…
— Tu veux que j’aille plus loin, bel étalon ? suggéra-t-elle… Avant, il faut que tu me montres ce que tu caches, là !
À la surprise générale, elle empoigna l’entrejambe de la statue, mais son geste fut si violent qu’elle la sentit bouger. Ébranlé, le pèlera pencha dangereusement en arrière.
— Merde ! jura-t-elle. Il va tomber ! 
Le socle céda et, dans sa lourde chute, l’homme en mousse de polyuréthane emporta avec lui la jeune fille qui s’y était agrippée dans un pur réflexe de survie. Un fracas indescriptible se fit entendre, agrémenté d’une bordée de jurons. La strip-teaseuse amatrice s’étala les quatre fers en l’air, meurtrissant superficiellement ses jambes et abimant ses bas.
— Astrill ! Astrill ! Ça va ? s’inquiéta Mickaël qui s’était relevé dans un sursaut de vitalité et volait à son secours.
— Oui, oui ! J’ai rien, t’inquiète pas ! fit-elle, irritée et surtout vexée par le ridicule de la situation, assise parmi les débris. Je ne m’attendais pas à ça et… mais… mais…
— Quoi ? Qu’est-ce qu’il y a ?
Les yeux de l’adolescente s’étaient focalisés sur la présence d’une masse sombre aux contours aussi indéfinis qu’inattendus, près du pèlerin en morceaux.
— Regarde, c’est quoi ça ?
— Oh, bon sang ! C’est pas vrai ?
— Mais c’est informe et visqueux ! Bordel, faut pas qu’on nous voie ici ! Faut se tirer, vite ! Donne-moi mes affaires, imbécile, et dégageons !
— OK ! OK ! Mais Christ ? Qu’est-ce qu’il fout ?
— J’sais pas ! Il me r’luquait, comme toi !
— Regarde ce con ! Il dort ! Je le croyais muet d’admiration alors qu’il pionçait !
— Ah bravo ! Merci pour moi ! Mais vite, je t’en supplie, réveille-le, et filons d’ici ! Si on nous surprend, ça va être notre fête et j’ai pas envie d’être mêlé à ça !
— T’as raison !... Chris ! Chris ! Bon Dieu, bouge-toi le cul, on a un « blême » !
— Quoi ? vociféra-t-il en se levant péniblement… Vous n’pouvez pas me foutre la paix bordel ?
— Mate, tu comprendras !… 
Mick montrait du doigt un endroit précis, proche de la statue en pièces. Chris fit un effort de concentration, et lorsque l’image s’associa au mot, une sanglante pensée s’inscrivit sans peine dans son esprit embrumé…
— Foutons le camp, bordel !
Il ne fallut pas plus d’une minute aux trois jeunes pour débarrasser les lieux, laissant sur le rond-point des Pèlerins un spectacle navrant, mêlant la destruction d’une sculpture commémoratrice à l’étalement sinistre et incongru d’un buste humain ensanglanté, sauvagement amputé de ses membres et de sa tête.

***

ÉCART DE MÉMOIRE

Quel lien existe-t-il entre un commissaire parisien à la recherche d’une femme accidentée, mystérieusement disparue d’un hôpital, une prostituée septuagénaire qui officie sur un parking proche du littoral charentais, un cambrioleur infect qui défie les forces de gendarmerie de La Rochelle, et le passé trouble d’un notable occis dans une maison au fin fond du Jonzacais ? 

Isabelle Loubry devra se méfier de ses certitudes, surtout quand apparaît un journal intime écrit avec le noir des vicissitudes, le pourpre des passions criminelles, le gris de la fange humaine. 

Cette histoire relate l’existence réelle d’une enfant martyre à une fiction policière. Elle ne laissera pas le lecteur indifférent, car une question demeure après avoir refermé la dernière page : à quel point sommes-nous tributaires des autres pour mener notre propre destin ?

 

ÉCART DE MÉMOIRE 

 

 

ÉCART DE MÉMOIRE : EXTRAIT

ÉCART DE MÉMOIRE

Préambule de la première partie

La lumière me fait mal ! Et, pourtant, l'éclat de mes prunelles, sous des paupières à demi fermées, s'habille d'une pâleur effroyable… Alors, un cri bizarre déchire la nuit... mon cri ? Strident, répétitif, alarmant, que nul ne semble entendre... Le froid m'entoure, le vent me gifle, la rue m'oppresse... Je ne vois rien, pas encore assez, juste ce disque blafard, fondu sur un écran d'étoiles... Je perçois des sons rassurants, un geste calme me recouvre d'une veste rêche, censée protéger ma nudité et nettoyer ma peau trempée de sang et de liquide amniotique. J’étais si bien dans mon antre lymphatique, baignant dans l’insouciance de la chair maternelle… Et me voilà allongée sur un ventre maigre, presque flasque, affaibli, un ventre dont je découvre l'envers, supportant les mêmes épreuves que les miennes : froidure, solitude, incertitude... le tout auréolé de réverbères agressifs... Ah, enfin ! Un peu de chaleur émane d'un mamelon doux et humide, mes doigts se dégourdissent, attrapent la colline pleine de promesses et mes lèvres goûtent goulûment au lait si agréable et si chaud. Mon souffle s'apaise, la faim s’estompe et je me surprends à la gloutonnerie, dans l’insolente indifférence d’une avenue célèbre de Paris.

À nos côtés, un personnage d’allure imposante bouge dans tous les sens. Il se prend la tête à deux mains, comme s’il voulait assurer le lien entre son esprit et son corps… Ses râles, gargarismes aigus qui m'interpellent dans un chant de sirènes plaintif, se propagent en toutes directions… Veut-il l'univers à son écoute, le monde à son agonie, le pays à sa souffrance, Paris à ses pieds ? Les oreilles naissent en chaque chose, affirmait-il, l’œil tourné vers les murs de la ville… Il me sera bien utile de le savoir ! Que de tremblements et d’impuissances dans sa voix rauque ! Que d’énergie puisant sa source dans le désespoir ! Les oreilles naissent en chaque chose, les oreilles naissent en chaque chose ! Oui ! Oui ! Mais pourquoi gesticuler, pourquoi parsemer sa raison aux rigoles du macadam ? Je ne comprends pas son silence soudain, mais moi, je m'en moque, car je suis préoccupée par ce téton offert qui me réchauffe… J’aime la chaleur de cette poitrine qui me berce ; j’apprécie vraiment le lait maternel… Alors, dans une paix retrouvée, je me désintéresse complètement de lui, qui en temps normal aurait dû s'appeler "père"…

Certains passants prononcent quelques mots dont les derniers signifient le pire : « il fait une crise de faux lit ». J’ai du mal à m’imaginer ce qu’est un « faux lit », mais apparemment c’est grave. Assez pour expliquer que par la suite, plus jamais je ne le vis ni n’entendis parler de lui, trop souvent sujet à la panique en de pareilles circonstances ! Panique… Ce mot me frappe, martèle mon esprit, perturbe mon existence de petite fille ! Puis des globes aveuglants surgissent d’un monstre énorme en acier et arrivent droit sur nous… J'ai peur ! Mon cœur bat la chamade, s'affole… L'instinct de survie ? Cela s'arrête très près de moi, souffle une fumée âcre et immonde... Je tousse, je pleure, je crie ! Enfin, il se retient de cracher, comme s'il avait la faculté de ne plus respirer ! Il ferme même ses yeux jaunes... Il n'émet plus de bruit également ! Ses bouches latérales s'ouvrent sur d'étranges êtres en blanc...

Le mélange de paroles douces me rassure, les gestes s’appliquent avec beaucoup d’attention, avec tendresse. On me soulève, me recroqueville au creux d'une épaule, m'emmène dans l'antre de fer... J'entrevois ma mère, portée délicatement sur une civière par des blouses immaculées... Ils la transportent aussi au chaud, avec moi… Elle en profite pour me toucher. L’un des hommes, en rouge et bleu celui-là, me pose entre ses bras. Elle me prend la main et me sourit comme il n’est pas permis ! Cela ne s’adresse pas à moi mais plutôt au vide sidéral ; c'est un sourire dont la béatitude annonce déjà l’absence… À moins que ce ne soit le contraire : trop de sensations qui s'entrechoquent en moi ! Les oreilles naissent en chaque chose… Comment comprendre, moi qui n’ai pas demandé à naître !?

Alors, je me rends compte qu'il fait bon à l'intérieur de l'engin, bien meilleur qu’à l’endroit hostile où j'ai ouvert pour la toute première fois mes pupilles de nouveau-née...

« Bienvenue dans ce monde de brutes, belle enfant ». L'infirmière avait certainement un don de prédiction... La première brute de ma vie, c'était la vie elle-même...

ÉCART DE MÉMOIRE : Retours de lecture

Irène PAULETICH,
sur BABELIO
16/06/2010

 

Ce livre fait partie d'une saga d'Isabelle Loubry, gendarme enquêteur créée par Pierre Brandao, lui-même gendarme de métier.
Ce livre bouleverse le style des polars classiques, des destins se cotoient : une jeune fille placée par la DDASS dans une famille où l'homme a abusé d'elle, une prostituée trop tranquille mais dont les souvenirs remontent à la surface, un gangster, un homme bien sous tout rapport (Ah bon ????...), retrouvé pendu assassiné et émasculé dans une villa vide par un agent immobilier, des furets... et Isabelle Loubry qui va déméler un à un les fils de cette enquête, pas vraiment aidée par la principale suspecte qui a décidé de ne plus dire un mot...
Ce livre m'a bouleversée car il met en avant les maltraitances faites aux enfants mais surtout à une certaine époque à des enfants placés là où on en avait besoin (dans les fermes ou maison bourgeoises notament où ils servaient de main d'oeuvre gratuite : bonne à tout faire, garçon d'écurie...) sans se soucier de leur bien-être, ni même de leur santé ou de leur éducation. Servant de jouet sexuel à l'homme de la maison, Dominique Toirne ne fut pas un cas isolé, qui pouvait croire ces enfants de l'assistance d'ailleurs auprès de qui auraient-ils pu se plaindre ? Les personnes chez qui ils étaient placés n'étaient-ils pas aux yeux de l'entourage des gens bien sous tout rapport ? de petis bourgeois, des notables ou de riches fermiers.
Les critères de selection de ces familles étaient souvent ce que l'on voyait, le tape à l'oeil, combien de familles aimantes se sont vu refusé le droit d'accueillir un de ces enfants abandonné sous le seul prétexte d'un peu de poussière dans un coin ?
Pierre Brandao soulève là un lièvre qui va déranger... je l'espère de tout coeur et vous le conseille vivement..
Un livre à lire absolument.

Sofia, sur BABELIO
14/03/2010

C'est la première fois que je suis "scotchée à la lecture un livre policier. J'aime beaucoup le style de cet auteur, et je persiste en disant que j'ai dévoré 
ECART de MEMOIRE, d'habitude les polars ne sont pas ma tasse de thé, mais depuis que je l' ai lu, je reconsidère mon point de vue, et, si cet auteur écrit d'autres livres, ce que j'espère, je m'empresserai de les lire.

Adeline Marino, sur BABELIO
18/06/2010

Ce livre est prenant. Il nous fait découvrir un univers qui dérange, sur lequel nous préférons détourner le regard, ou ignorer les conséquences.
Il m'a permis de découvrir l'univers de la gendarmerie sous un autre jour, j'ai hâte de lire l'assassin su premier mai et Quai des cicatrices dès leur sortie chez Irène Pauletich Editions.
Merci à 
Pierre Brandao pour cette réalité qu'il a su exprimée avec tact et symplicité

QUAI DES CICATRICES

 

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Qu’il est bon de passer ses vacances à La Rochelle ! Isabelle et William attendaient ce moment avec impatience : finies les procédures criminelles pour l’une, et le travail des chevaux pour l’autre ! Farniente, bronzage et promenades constituent leur emploi du temps pour la semaine à venir.
De plus, lorsque leur séjour s’agrémente d’une retrouvaille sympathique en la personne d’un gendarme rochelais, tous les ingrédients sont réunis pour que ces congés soient le plus mémorable possible…
Pour l’être, ils le sont… Une série d’assassinats sur les quais de La Rochelle a lieu, à l’encontre de mendiants… Et Isabelle s’aperçoit qu’un loup se cache dans la bergerie…
Commence alors une course poursuite contre le temps pour découvrir le responsable de cette sombre machination, afin que l’amitié et la confiance demeurent pleines et indivisibles ! 
Qu’il est bon de passer ses vacances à La Rochelle ! Mais Isabelle regardera d’un autre œil ses quais, dont la cicatrice ne se referme jamais lorsqu’elle est synonyme de douleur…

QUAI DES CICATRICES : EXTRAITS VIDEO

QUAI DES CICATRICES : EXTRAIT

CHAPITRE 1

La Rochelle,
Lundi 25 août 2003, 05H00

Quel âge pouvait-il avoir ? En avait-il un ? Sa face burinée par le blafard des miroirs d'antan se recouvrait de la poussière nocturne, tandis qu’une couche de crasse dissimulait sa morosité latente… Il n'osait plus, depuis longtemps, contempler son reflet… Qu'imaginait-il, seul, égaré dans l'immense drap noir où les étoiles nourrissaient le clapotis de son amère existence ? Il déboucha sur l’intersection de la rue de l’Arsenal et du Quai Maubec, avec l’idée de prendre la direction du parc animalier où ses compagnons de misère l'attendaient. Le chemin s’étirait comme un carambar ramolli qu’un gosse sortirait de sa bouche en l’allongeant malicieusement ; il s’annonçait interminable, tant son état éthylique l’abrutissait ! Même Tombouctou lui paraissait plus proche ! Combien de kilomètres devrait-il parcourir encore ? D’abord le Cours des Dames, ensuite la tour Saint-Nicolas, le grand parking Saint-Jean-d’Acre et la belle forteresse des Quatre Sergents. Enfin, il emprunterait les espaces verts et se dirigerait vers le petit jardin zoologique.
Dans un monde où le réel côtoyait le brouillard de son ivresse, il déambulait ainsi, le regard perdu, l’œil aux rivières veineuses et les pensées mortes calfeutrées dans l’illusion. Chaque pas en avant le déséquilibrait et il parvenait, presque miraculeusement, à rester sur ses jambes et à éviter de se vautrer lamentablement sur le pavé. Quelques lueurs - éphémères traits d’esprit vite anéantis par les vapeurs vineuses - l'invitaient à ne pas divaguer sur la route ; il y percevait la folie des chauffards du petit matin s'amusant au nez et à la barbe des policiers blasés. Malgré le dépérissement d'un corps tombant en loques, « Vieux Loup » s’accrochait à son passé. Aujourd’hui, vivre se résumait à partager les bouteilles de whisky, notamment celle qu’il cramponnait dans sa main. Il avait promis à ses frères d’infortune de la vider avec eux ; par ces temps de canicule, un peu d’entraide rafraîchirait les cœurs des mal nantis ! Mais il fallait attendre pour ne pas susciter les convoitises d'autres mendiants assoiffés. Aussi avaient-ils convenu d’attendre l’aurore, seul instant propice pour des retrouvailles tranquilles. Propice parce que la brume donnait au parc l’apparence d'un monde fantasmagorique, où mystère et réelle solitude se rejoignaient ; propice pour chasser leurs angoisses en prenant une bonne lampée de feu jaune.
Un rictus proche du sourire creusa ses rides d’ancien marin. Il songea au billet récolté l'après-midi, généreusement offert par un « bourgeois » qui s’était amusé à l’apostropher d’une tirade facile empreinte d'hypocrisie et de pitié : « Faites-en bon usage, mon brave. » En quoi ça le regardait ? Ce bourge’ pouvait donner ce qu'il voulait, mais des conseils moralisateurs sûrement pas ! Savait-il à qui il avait affaire, pour s’arroger le droit de dispenser des commentaires à la limite de l'humiliation ? À lui ? Lui qui, trente ans auparavant, naviguait sur les océans du globe ? Oh, il est vrai … Cela n'avait pas duré… Cette fichue maladie l'avait injustement jeté à terre et par la suite, le spectre de la déchéance l’avait happé pour l’habiter à tout jamais… Pourtant, comme l'équipage se glorifiait de saluer un tel chef ! Hardi, les gars ! Les harengs et les thons rendront leurs vieilles arêtes ! La pêche assurera votre fortune ! Voyez à Chef de Baie, ce bon vieux port, votre retour tant attendu ! Ah ! Belle nostalgie de cette époque où il ne gardait plus que l'amère magie de ses voyages tropicaux ! Comme il appréciait le respect des autochtones qui l’accueillaient, craintifs et obéissants ! Comme les derniers vestiges de ce passé révolu, « Vieux Loup » était chaussé de ses vieilles bottes bleues en caoutchouc recouvrant le bas de son pantalon ciré jaune ; un pull marin orné d'une ancre le protégeait des frimas tandis qu’une casquette blanche et bleue finissait d’asseoir son autorité sur le petit monde qui l’entourait… Il n’imaginait même pas les sourires narquois des badauds à le trouver vêtu de la sorte !
Il se plaisait dans son monde imaginaire, habité de peuplades sauvages dont il se proclamait roi, servi par des femmes attentives au moindre de ses désirs, adoré par des hommes puérils et entièrement dévoués ! Alors, qu’un « bourgeois » lui fasse la leçon ? Ça, non ! Jamais ! Jamais il n’accepterait de recevoir en pleine face la vérité de son déclin ! Un inconnu ne le musellerait pas, non ! Sûrement un touriste attardé, qui croyait se rendre intéressant. « Vieux Loup » ne se laisserait pas insulter, non mais ! Le mépris ? Un terme absent de son vocabulaire. Les quelques invectives proférées à l’encontre du donateur le firent vite déguerpir ! « Vieux Loup », un surnom bien mérité, bon sang ! Il en avait fallu des années pour assortir cette moustache et cette barbe avec le franc-parler qui lui était propre ! Malgré l’année passée derrière les barreaux, son clapet s’exprimait toujours aussi bien, alors un estivant de pacotille… Pensez donc ! Un peu de considération, tout de même !
Il discerna, quelques dizaines de mètres plus loin, la masse sombre de la Chapelle des Dames Blanches, seulement illuminée par un réverbère contemporain. « Vieux Loup » avait toujours admiré les sculptures du fronton de l’édifice. Il appréciait le travail des tailleurs de pierre, des magiciens selon lui ! Marie et l'enfant lui apparaissaient dans une dimension divine pas vraiment désagréable, même si son opinion sur la religion contrastait avec cette impression de beauté. Les personnages de granit, placés aux côtés de la Sainte, la regardaient avec compassion. Il eut également cette complaisance… Mais, à quoi bon ?
Il prit la décision d’aller s’asseoir un peu sur les marches du porche d'entrée, afin d’humecter son gosier. Forcément, marcher autant, ça donnait soif… Fallait ce qu'il fallait pour donner du sang au corps ! Le mur serait un bon allié, se dit-il, pour arriver jusque-là. Encore éviter les canons de bronze fixés au sol, souvenirs d’un passé guerrier, puis se méfier des pavés sur lesquels il trébucherait s’il n’y prenait garde.
Au-dessus de lui, il aperçut la plaque sur fond bleu fixée au mur d’enceinte : « Quai Maubec ». Une autre pierre d’un âge dépassé, gravée du même nom, rappelait le fil de l’histoire de la cité… Il s'entendit murmurer : « C’était le bon temps… » et ne perçut pas le danger d'une ombre feutrée dissimulée quelques mètres derrière lui.
Un peu plus loin, le canal ruisselait d’un rythme intemporel. Lorsqu’il parvenait à garder l’esprit clair, « Vieux Loup » aimait à se pencher sur la balustrade du petit pont précédant l’écluse. Il laissait ses pensées naviguer au fil de l’eau ; pourtant, seul le souvenir des services rendus revenait à cet instant précis, tout comme celui de ses beuveries finissant en mal chronique !
Durant une fraction de seconde, il eut envie d'aller voir son reflet, mais il se ravisa… La clarté blafarde de la lune lui permettrait-elle de restituer sa face de marin déchu, dans le miroir de l’onde trouble ? Quel besoin avait-il de se faire du mal ?
« Faut pas tomber, manquerait plus que ça… »
Il leva les yeux, distingua au loin la pointe de la tour des Quatre Sergents et, un peu plus sur la droite, le beffroi carré de l’Église Saint-Sauveur. Ah, celle-là, quelle beauté ! La petite tour crénelée à flanc de l’édifice l’étonnait encore et l’étonnerait toujours : paradoxe d’un symbole de paix, de sérénité, flanqué d’une démonstration de force belliqueuse… Pourtant, en son nom, combien de fois l’homme avait-il bafoué ses principes les plus élémentaires ! Il aimait durant la journée pénétrer les lieux, contempler au passage le gigantesque portail en bois, entouré par quatre colonnes coiffées chacune d’une vasque ancienne. Il passait le seuil, s’imprégnait du silence religieux, se laissait submerger par le regard des statues qui le dévisageaient et par l’atmosphère solennelle qui s’en dégageait. Qu’il crût en Dieu ? Balivernes ! Son Dieu à lui s’appelait Rue ! Un Dieu fait de misères et de douleurs, noyé dans le ranci des impasses familières. Mais ce lieu de prières, chargé d’autres idéaux, répondait à un besoin profond : calme, recueillement, réflexion…
« Encore du chemin à faire ! » bougonna-t-il.
Il avança, se cogna contre le fût du canon ornemental, posé à la sortie de l'encadrement du parking Amelot. Il pesta :
« Foutez-moi ça à l'eau, bougre de Dieu ! »
Il se tint plus près du mur, fit quelques pas, s'arrêta sans prêter attention au contact froid de la pierre et de la tablette, souvenir du passage de l'écrivain Simenon à cet endroit. Deux à trois mètres plus loin, s’il ne tombait pas avant, il s’assoirait sur les marches. « Vieux Loup » souffla ; démentiel de sa part de toujours passer par là… L’espoir le nourrissait-il encore ? Un jour, peut-être, elle apparaîtrait à sa fenêtre et l’inviterait à rentrer… Des souvenirs doux affluaient, une larme de regret glissa au seuil de sa paupière… Il la chassait, se rendait à l'évidence : trop tard, beaucoup trop tard ! Elle n’avait pas désiré le suivre dans son errance… Il ne lui en voulait pas… Devenu un « Vieux Loup » en liberté, elle n’accepterait plus aujourd’hui d’être sa compagne le restant de sa chienne de vie. Le volet clos, devant lui, fermait l’oculus de sa mémoire douloureuse ; ne pas frapper à l’ombre du passé, non… Il fit encore quelques pas… et ne se retourna plus…
En observant le coin de la rue, juste avant de s’engager sur le Vieux Port, le mendiant eut un rire pincé ; les spectacles offerts par les saltimbanques durant l’été l’attiraient encore. Il se pressait le soir, voir l’équilibriste à vélo jonglant avec des torches enflammées. Ce numéro le stupéfiait, il n’en ratait pas un seul ! Fallait pas qu'il prenne du tord-boyaux, lui, s'il voulait s'en sortir vivant ! Il aimait bien ce brave gars courageux, qui jouait avec le public, et il riait de le voir tourner en ridicule les touristes se prêtant au jeu. Au moins une façon louable de gagner du fric, toujours mieux que tendre la main à mendier !
A cette heure matinale, les saltimbanques avaient déserté le Vieux Port. Aucun n'était resté pour lui donner une représentation, rien que pour lui !
« Pourvu que les copains m'attendent, se dit-il, y'en a assez pour eux, pour sûr ! Mais si je continue à la vider, y vont me faire ma fête !»
Il ne put finir sa phrase. Une main se posa fermement sur sa bouche et, simultanément, il sentit un froid aigu pénétrer sa chair, à la hauteur du bassin. La déchirure se répandit à travers ses muscles et ses organes, remontant vers la cage thoracique, perforant les poumons et le cœur. Une lame d’une vingtaine de centimètres, songea-t-il, les yeux en perte de lumière, il ne rigole pas le bougre ! Bon sang ! Non, pas ça ! Pourquoi lui ? Que gagnait-on à le tuer ? Il ne possédait plus rien depuis bien trop d’années ! Et ses potes ? Ils allaient s'inquiéter ! Il avait promis de partager la bouteille avec eux !
L'alcool et l'âge ne lui permirent pas de résister à cette attaque ; il sentit ses forces l'abandonner, flancha et tomba à genoux. Son dernier regard se tourna vers une forme sombre… Il ne vit pas la haine des pupilles dilatées, ni la main nerveuse, armée, satisfaite de sa besogne accomplie ; il regardait, simplement ahuri, agonisant, le métal de l’arme rougi par son propre sang…
Et quand le voile blanc envahit son champ de vision pour le plonger dans l’obscurité totale, il comprit qu’il ne verrait plus jamais l’éclat du jour… Ainsi, il allait mourir comme ça, sans même savoir pourquoi on lui faisait la peau ? Le néant l'appela, tandis que son corps était tiré puis jeté dans le coffre d’une voiture sombre…
La bouteille de whisky roula à terre, heurta un banc de pierre sans se briser… Elle entraîna dans sa chute le sérum vital qui s’était enfui du corps de « Vieux Loup ». Le pourpre de la vie se mêlait à l’humidité de l’asphalte et non à l’azur des océans dont il avait toujours voulu respirer la profondeur insondable…
Pas même eu le temps de boire une dernière lampée, c'était bien triste…

L'ASSASSIN DU PREMIER MAI

1er mai 1997. Isabelle Loubry, notre héroïne gendarme, est chargée d’enquêter sur le meurtre d’une religieuse tuée durant la nuit près de la basilique de Vézelay.

Un crime crapuleux ? Pourtant, d’autres événements commis dans les mêmes circonstances la conduiront dans plusieurs villes de France (Poitiers, Bégard, Périgueux, La Rochelle, Marsilly, Paris…) et en Inde. De villes en villages, elle suivra le fil poétique -mais oh combien machiavélique !- d’un serial killer qui sévit chaque 1er mai et qui, une fois son forfait accompli, dépose sur le corps des victimes des phrases étranges et un brin de muguet. Isabelle, humaine et révoltée, se sent proche de ces pauvres femmes assassinées… Sait-elle déjà jusqu’à quel point ?

Suivez à bout de souffle l’héroïne dans cette enquête où vengeance, violence, suspense, poésie et spirituel se côtoient au fil des pages. Peut-être vous poserez-vous cette question au moment où vous fermerez l’ouvrage : mon passé est-il sans tache ?

à noter : 

« L'Assassin du premier mai » a été présenté en 2005 au concours littéraire de la gendarmerie et a terminé en sélection finale. L'originalité de l'intrigue, la force des personnages, l'humilité de l'enquêtrice et l'humanisme qui s'en dégagent séduisent le lecteur accroché au récit dès la première page.  
«L'Assassin du premier mai » est le deuxième voelt de la saga Loubry. Il est paru initialement sous le titre « Rancune meurtrière ». Depuis, d'autres aventures mettent en scène cette enquêtrice hors du commun. N'hésitez pas à les découvrir sur le site de l'association ou sur celui de l'auteur.

 

L'ASSASSIN DU PREMIER MAI

 

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L'assassin du premier mai : Extrait

CHAPITRE 1

Soirée du mercredi 30 avril au jeudi 1er mai 1997
Vézelay – Bourgogne

Les coteaux bourguignons acceptaient, soumis, l’emprise de la pénombre envahissante. Un soleil rougeoyant clignait de l’œil, désireux de se reposer après une journée où le labeur de l’homme l’exténuait. Quelques flocons de nuages ensanglantés cotonnaient le ciel de mai naissant. Sur la colline vouée au culte du vin, la basilique Sainte-Marie-Madeleine se dressait, hautaine, souveraine. Les gens superstitieux affirmaient qu’ici, l’air soufflait la foi des croyants en route pour Saint-Jacques-de-Compostelle. Une sorte d’élévation de l’âme, forte, intime, perpétuelle, assurait aux sédentaires d’accéder au Paradis, à la droite du Père. Tant de siècles passés à préserver la magnificence de l’endroit inspiraient respect et silence. Vézelay vivait, au rythme de la congrégation religieuse, sa réputation de petite ville de province tranquille.
Sœur Barbara, franciscaine, se rendait en contrebas d'un chemin bordé de vignes. Elle avait une trentaine d’années. L’aspect sévère de son habit monastique cachait la finesse et la beauté de ses traits ; mais, pour elle, le physique n’avait aucune importance, seule la pureté morale trouvait grâce à ses yeux. Tout en marchant, elle tenait instinctivement la croix suspendue à son cou, protection contre ses démons intérieurs, pensait-elle. Elle songeait aux événements récents. Dans la matinée, l’homme qui, depuis quatre jours, la harcelait, lui avait proposé de la rencontrer discrètement. Ses paroles chuchotées mais empreintes de conviction, accompagnées d’un regard intense et attirant, avaient réussi à la perturber. Un sentiment nouveau, qu’elle refusait d’admettre comme étant de l’amour, s’insinuait en son esprit. Un message se lisait dans ces yeux… Une promesse de l’au-delà ? Si cette enveloppe humaine se déclarait envoyée par le Messie, nul doute qu’elle le croirait sans hésitation ! Le souvenir de sa voix résonnait aux tréfonds de sa mémoire, dans un écho qui faisait trembler tous ses membres ; un timbre vocal qui ne la quittait plus, comme lié à un souffle divin, la couvrant de chaleur, perturbant sa foi et son indéfectible volonté de consacrer sa vie à Dieu. Comment résister à cet appel ? Les questions affluaient, questions interdites pour une moniale. Pourquoi ne pas accepter la tendresse ? Pourquoi ne pas fléchir, rien qu’une fois, à un appel passionné ? Pourquoi ne pas vivre l’instant charnel, sentir le frôlement d’une peau qui la désirait, respirer la chaleur et la caresse d’un baiser à venir ? Pourquoi ne pas oublier, juste un court instant, les préceptes qui l’avaient conduite à bannir les plaisirs ?
 Elle parvint à hauteur du chemin qui la conduisait à l’intersection où il lui avait donné rendez-vous. Ce vocable, qu’elle avait ignoré jusqu’alors, prenait une multitude de sens ; galant, anxieux, dangereux, amical, professionnel. Elle se souvenait de rencontres au lycée où, comme ses camarades, elle s’amusait de l’espoir frivole d’amoureux transis dont elle se moquait éperdument ! Combien de garçons avait-elle ainsi blessés ! Sœur Barbara se souvint du billet laissé par l’inconnu lorsqu’elle était rentrée chez elle. Sa lecture ébranla ses certitudes et elle resta de longues minutes dans l’incapacité de réagir. Finalement, elle le rangea dans son journal intime mais les phrases qu’il contenait restèrent gravées dans son esprit. Pourtant, la révolte grondait. Sa vocation l’emporterait sur le désir, mais encore fallait-il que cet homme cesse de l’importuner !
L’air se rafraichît. Elle frissonna. S’armant de courage, elle se rendit vers le lieu indiqué. Alors qu’elle s’en approchait, Barbara s’étonna de la pénombre qui tombait soudainement. L’atmosphère devint moite, lourde. La fraîcheur laissa place à une torpeur inquiétante. La religieuse s’enveloppa de sa cape, croisant les bras comme pour se protéger de la froidure du soir. Elle ne distingua plus rien et se retrouva seule. Elle s’arrêta, décidant de faire demi-tour. Soudain, le regard figé, elle se raidit, un cri s’échappant du plus profond d’elle-même ! Un cri de terreur et de douleur à la fois, qui déchira le silence nocturne ! Une insupportable brûlure irradia son dos ; elle se retint pour ne pas tomber. Instinctivement, ses doigts se portèrent à l’endroit où elle ressentait cette douleur fulgurante. Ils rencontrèrent la froideur du métal qui pénétrait sa chair et se mouillèrent de la chaleur du sang abandonnant son corps. La lame se retira violemment, blessant l’index et l’annulaire. Dans un ultime effort, elle se retourna et aperçut, tel le regard d’un loup à l’orée d’un bois, la haine d’un regard incisif. Elle le reconnut. Sa stature, sa taille, ce visage anguleux, ce ne pouvait être que lui… Il était venu, mais, à cet instant, ce ne fut pas l’être aimé, dont la profondeur d’âme l’avait tant secouée, qu’elle avait devant elle. Au regard haineux et glacial qu’il lui lançait, elle savait qu’il n’y aurait pas de pardon, ni de compassion. Il voulait la voir s’écrouler, la voir souffrir, la voir expirer, et cela plaisait à l’ignoble personnage.
Barbara sentit ses forces l’abandonner. Ses yeux, emplis de larmes et d’incompréhension, ne saisissaient pas les raisons de cette furie meurtrière. Qu’avait-elle fait, pour mériter cette mort atroce ? LlL’assassin, une feuille dans une main, le poignard ensanglanté dans l’autre, porta un coup terrible dans la poitrine de la pauvre nonne, dans un rire sardonique qui trouva écho dans les rangs de vignes alentours. Sœur Barbara eut un dernier soubresaut avant de s’écrouler devant le meurtrier, qui contempla le corps sans vie de sa proie. Dans un geste ironique, il jeta un brin de muguet sur la dépouille.
La Basilique, dont l’ombre se dessinait dans la nuit, ne se dressa plus fièrement. Elle voûtait son dos de vieille femme, témoin muet du drame. Les vitraux paraissaient poreux, emplis d’une brume peu coutumière. Des notes lugubres se firent entendre, plaintes fuyant les pierres séculaires. Comme si l’âme de l’édifice pleurait la perte d’un de ses meilleurs agneaux.

VENGEANCE SECULAIRE

 

 

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25 Décembre 1995.

Le corps d'un homme découvert noyé dans la fontaine Médicis du jardin du Luxembourg. Une enquête confiée à la gendarmerie dans le secret le plus tacite, mais dans l'urgence la plus décisive. Une femme aussi glaciale que le froid de l'hiver, le Maréchal des Logis Chef Isabelle Loubry : chargée d'une enquête qui va réveiller peu à peu les démons d'un passé endormi, saura-t-elle venir à bout de son propre passé et renaître à la vie ? Auprès d'elle le gendarme William Planquart, qui l'assiste dans ses recherches, a perçu la femme sensible et blessée derrière l'armure d'acier qu'elle s'impose... A eux deux, ils vont tenter de mettre à jour la vérité, celle des faits qui ont provoqué le meurtre, mais aussi celle tout aussi profonde et inextricable de leurs coeurs.

Une affaire inclassable.
Une vengeance à travers un siècle de rancoeur et de douleur.
Un homme et une femme qui cherchent et qui se cherchent...
Un livre dont l'engagement humain, mais aussi militaire et citoyen, dévoile les valeurs essentielles  à l'Homme et à la Société.

Valérie-Bérengère Bettelheim
Éditrice et romancière

VENGEANCE SECULAIRE : Extrait

CHAPITRE 1

Lundi 25 Décembre 1995 Paris -  00h30

La lune éclairait d’un voile opaque l’allée dans laquelle deux gardes républicains patrouillaient. En cette fin décembre 1995, la France se remettait doucement des tragiques événements qui l’avaient secouée. Plusieurs attentats perpétrés par des terroristes islamisés l’avaient obligée à déclencher des mesures de sécurité exceptionnelles. La mise en place du plan Vigipirate rassurait les Français, surtout les Parisiens !
En cette soirée blanchâtre, Erwan Chanzal et William Planquart, cavaliers de la garde républicaine, effectuaient une mission de surveillance dans les jardins du Luxembourg. Revêtus de leur uniforme bleu, les gardes avaient été sollicités en renfort pour assurer la sécurité des espaces verts du Sénat ; cette mesure, évidemment, n’était pas du goût de tout le personnel de ce corps d’élite. Erwan n’approuvait pas ce service car pour lui c’était systématiquement au détriment du travail des chevaux. Il est vrai que, fragilisées par l’inertie, certaines bêtes peuvent être sujettes aux coliques, provoquant à terme leur décès.
William Planquart sortait de l’Ecole de Gendarmerie et découvrait une facette inconnue de ce métier, spécialisé dans les  services d’honneur. C’était sa première affectation, dans laquelle il découvrait une ambiance très axée sur le respect de l’animal et des traditions. Ce milieu lui paraissait bien éloigné de l’idée qu’il avait de la maréchaussée ; il ignorait, avant son engagement, que pour revêtir l'uniforme de la garde républicaine, il fallait réussir le concours d’entrée en gendarmerie.
Bien déterminé à montrer son ambition et sa volonté inébranlable, William avait la foi en son métier. La trentaine, de taille moyenne, cheveux bruns coiffés à la coupe réglementaire, le visage rond, seul son regard franc était gage d’honnêteté et de franchise.
Pourtant, ce soir-là, il ne s’imaginait pas que son futur proche lui ferait prendre des tournants décisifs…
- Tu n’es pas trop crevé ?
- Je serais bien mieux chez moi. Si ça continue, on va trouver un coin pour pioncer.
Le visage de William se crispa. Il ne voulait pas succomber aux facilités offertes, elles étaient un boomerang frappant par derrière… William respectait son camarade, plus ancien, aussi trouva-t-il une alternative, dosée de diplomatie et de bon sens, voire empreinte d’un peu d’hypocrisie…
- Ce n’est pas une mauvaise idée, seulement le chef de quart tourne dans le jardin. Il vaudrait mieux assurer, n’est-ce pas ? Se faire planter un jour de Noël, c’est plutôt stupide ?
- Pas de danger, le chef sera occupé à fêter l’événement tout seul dans son coin ! Mais toi, tu n’es pas fatigué ?
- Non, je ne m’endors jamais avant une ronde de vingt-trois heures. Je préfère assurer la continuité, sinon, j’ai un mauvais réveil. Je dors mieux après. Mais franchement, je ne veux pas te décevoir, le gradé doit certainement prendre son rôle au sérieux. N’oublie pas qu’il y a un général qui commande la sécurité, cela m’étonnerait qu’il tolère une inattention quelconque…Le vétéran grommela quelque chose d’indescriptible et suivit le chemin.
Un peu plus tard, aux alentours du bâtiment sénatorial, une guérite réchauffait avec peine un fantassin du deuxième régiment. Malgré la fraîcheur nocturne, le militaire transpirait à grosses gouttes, comme pris par la fièvre. L’approche des cavaliers le fit sursauter.
- Bonjour ! Je ne vous ai pas vu arriver !
- Salut, je suis le garde Chanzal, du 3ème Escadron.
- Et moi, Planquart, du même. Il ne fait pas chaud, n’est-ce pas ?
- Non. J’ai peur d’avoir chopé la grippe en plus. Je m’appelle Van Stael, deuxième régiment à Kellerman. Cela commence à devenir frustrant de rester là à rien faire, avec cette fichue crève !
- C’est vrai que ça n’a pas l’air d’aller, dit Erwan.
- Ça ira mieux dans moins d’une demi-heure, quand j’irai me coucher. Et ensuite, plus que cinq jours à faire, avant mon retour dans le civil.
- Ah bon, s’étonna William, le métier ne te convient pas ?
- Dis donc, coupa Erwan intéressé,  n’aurais-tu pas vu le gradé de permanence ?
- Il fait une ronde en général toutes les deux heures. La prochaine sera dans une demi-heure maintenant, à la prochaine relève.
- Merci, dit Erwan rassuré, je crois qu’on ne va pas traîner alors. »
Ils quittèrent la sentinelle et poursuivirent leur ronde en direction de l’Est du Parc. Les lumières des appartements attirèrent leurs regards. Il semblait qu’une agitation régnait à l’intérieur des logis. Des guirlandes électriques clignotaient, des sapins volumineux brillaient et des boules scintillaient contrastant avec la blancheur du sol recouvert par la neige. Noël était là, dans l’esprit des enfants et des parents, si vivant et si chaleureux, si plein de promesses aussi, qu’il en devenait indécent pour Erwan ne pouvant s’empêcher de s’exclamer :
- Ils en ont de la chance ! Dire qu’en ce moment, ma femme et mes deux enfants réveillonnent, et moi qui suis ici, à faire l’idiot !
- Je sais que c’est un peu facile de dire ça, mais tu te rattraperas pour le Nouvel an, Erwan.
- Ce n’est pas pareil. Noël c’est une réunion de famille, un moment important. La Saint-Sylvestre en général je la passe avec des amis.
Chanzal avait la malchance d’être de service durant la nuit de réveillon ; une seule idée l’obsédait :  vivre le moment précis où les enfants s’émerveilleraient de leurs présents ; leur joie était sa principale satisfaction.
Et pourtant, le rocambolesque de la situation des deux hommes leur échappait à cet instant présent. Ils parcouraient le chemin de ronde, derrière les grilles du jardin, comme prisonniers d’un endroit dont ils ne pouvaient sortir, alors qu’en fait, ils agissaient comme étant les garants de la sécurité des lieux.
Arrivant vers le secteur Est du Palais, William regarda sa montre. Cela faisait une bonne heure qu’ils patrouillaient ainsi, le plus sérieusement possible mais la lassitude gagnait du terrain sur leur attention ; ils savaient que la zone à protéger ne constituait pas une cible de choix pour les terroristes, mais la prévention impliquant la présence constante, ils ne pouvaient qu’obéir ; aussi s’efforçaient-ils de croire leur mission importante et leurs responsabilités étendues, sans toutefois se faire d’illusions.
- Fais un contrôle radio, dit le jeune garde, c’est l’heure.
- Charlie Papa ici Papa Echo, pour contrôle radio, parlez.
Dans le silence de la nuit, une voix se fit entendre dans le haut-parleur de l’appareil de transmission…
- Sur écoute, parlez.
- De Papa Echo, nous sommes au secteur Est, rien à signaler, parlez.
- Bien reçu, terminé.
De l’autre côté, la rue semblait déserte, peu de véhicules et peu de badauds l’occupaient. Dans les appartements, les parisiens terminaient leurs préparatifs et s’attablaient. Les gardes pensaient avoir une nuit calme, rien ne devrait les déranger. Ils songeaient à la bouteille de champagne qui leur avait été offerte juste avant de partir au Sénat, avec tout de même l’interdiction de l’ouvrir tant que durerait le service ! Chose normale, somme toute…
Jetant un œil sur le dôme du Palais, William remarqua :
- Tiens, les sénateurs ont fini la séance de travail, regarde, les lumières viennent de s’éteindre.
- Non, William. Ce sont certainement les services de nettoyage qui ont œuvré après la séance exceptionnelle de cet après-midi. Je crois que les Parlementaires sont restés au Palais, mais pour une autre raison. Les collègues au portail vont avoir de l’occupation. Ils ne verront pas le temps passer.
- Pour nous, dans trois quarts d’heure c’est la fin.
Les deux gardes s’approchèrent maintenant près d’un muret entourant le bassin principal, situé juste devant le bâtiment sénatorial. Afin d’alimenter une conversation qui s’avérait jusqu’à présent plate en intérêt, William se décida à évoquer certaines informations obtenues dans la journée de l’avant-veille, lorsqu’il avait discuté avec un agent de sécurité du Sénat.
- Vois-tu cette petite construction servant de banc pour la majorité du public ? Sais-tu qu’avant c’était un mur, de taille d’homme ? Pendant les événements de 1871 il a servi pour y adosser les Fédérés devant être fusillés. Si les visiteurs s’intéressaient vraiment à l’Histoire, aucun n’oserait s’asseoir sur le sang de ces Parisiens…
- Je vois que tu ne perds pas ton temps, s’étonna Erwan, tu es allé à la bibliothèque ?
- Non, juste un agent de sécurité qui s’intéresse au passé du Jardin. Il m’a raconté des anecdotes historiques importantes, mais également les pratiques imbéciles de certains.
- Comme ? ? ?
- Par exemple ? La fontaine Marie de Médicis, elle n’est pas très loin, je vais te montrer quelque chose.
Ils abordèrent alors l’édifice et William se mit à raconter…
- J’ai appris que cette fontaine a changé d’emplacement. Le baron Haussmann voulait agrandir les rues de Paris et la fontaine se trouvait sur le tracé des futurs boulevards. De plus, un bâtiment, aujourd’hui disparu, y était accolé. Tiens, regarde, tu vois cette sculpture, qui représente Polyphème, un cyclope, sur le point d’écraser à l’aide d’un rocher Acis et Galatée enlacés ? A l’origine, c’était une autre œuvre datant de la Révolution : Vénus sortant de son bain. Aujourd’hui, c’est une des premières scènes de la mythologie grecque qui est représentée. Derrière une autre sculpture a été rajoutée, représentant Léda et son cygne. Il faut admettre que la restauration de ce bassin est une réussite, n’est-ce pas ?
- C’est vrai, répondit Erwan, je ne suis pas amateur des belles pierres, mais on peut dire que c’est magnifique. Et puis regarde-moi ce superbe bassin ! De nuit le reflet rend l’œuvre d’autant plus belle !
Nous allons attendre ici maintenant, dans un quart d’heure c’est la relève, nous avons assez marché comme ça.
- D’accord, Erwan. Pas de problème. Regarde au fond de l’eau, des pièces de monnaie. Ce sont les gens superstitieux qui sont passés par-là. J’ai vu des jeunes qui s’amusaient à récupérer certaines pièces avec un bâton auquel ils avaient collé leur chewing-gum. Dès qu’ils nous ont aperçus, ils se sont sauvés en courant ! C’est cela l’attitude imbécile dont je te parlais.
- Je sais, cela m’est déjà arrivé aussi. C’est un comportement mesquin et bête.
L’eau claire du bassin reflétait la lumière de la lune, un instant de silence berçait la minute… Les gardes firent le tour de l’ouvrage, admirant l’ingéniosité et le talent du concepteur. Ils ressentirent alors la dose d’imagination, de courage et de labeur qu’il avait fallu pour un homme dépourvu des moyens modernes d’aujourd’hui pour faire construire pareille fontaine.
Erwan prit un bâton et brassa les vaguelettes créées par la bise nocturne. A un moment, il sentit son bâton buter sur quelque chose. Il regarda machinalement vers son extrémité ; il fronça les sourcils en apercevant une masse sombre dans l’eau. Il joua du bâton pour mieux attraper cette forme… Il se servit de son outil comme d’un levier, et soudain il comprit… Pâle, il ne put que balbutier…
- William, William, regarde…
Planquart se retourna et sur son visage on lut la stupéfaction… Il se mit à trembler… De sa vie jamais il n’avait eu à faire face à cet imprévu. Erwan semblait paralysé, lui si habitué aux chevaux n’avait jamais été confronté à pareille découverte.
- Donne-moi, la radio, Erwan, vite ! Charlie-Papa, ici Papa Echo, Urgent, parlez !
- Sur écoute…
- Nous sommes à la fontaine de Marie de Médicis. Nous venons de découvrir un cadavre dans le bassin ! 

Date de dernière mise à jour : 06/01/2023